Juillet/Août 2009...




Juillet/Août 2009 = cartons.

On a tout partagé entre nous.
Un peu pour lui, beaucoup pour moi. Il avait tellement moins d'affaires.

Je nageais encore dans nos souvenirs physiques alors que lui était presque déjà parti pour de bon, ayant bouclés ses cartons depuis des jours. Je voyais la petite pile compact de ses biens à lui, qu'il avait choisis, dans un coin de la maison, bien callée en attendant le déménagement. Et le marasme tout autour de moi, qui ne semblait pas vouloir diminuer malgré l'energie que je mettais en oeuvre pour l'ordonner et le faire disparaitre, en poubelle ou en carton.
Jamais je n'avais eue l'impression de faire ces acquisitions sans que cela ne nous appartiennent d'office à part égale à tous les deux. Et pourtant, dans ses cartons à lui, pas grand chose qui vienne de notre époque à nous, surtout des souvenirs de sa vie avant la nôtre.

En fait, notre vie était à mes pieds.
Et moi j'étouffais et je me noyais tout à la fois.

Je tâchais de ranger, trier, jeter, classer, ces choses qui ne me semblaient plus avoir aucun usage sans lui. Car il fallait bien le faire, non? Jamais l'idée de tout envoyer aux ordures ne m'a traversé l'esprit...

Je m'appliquais du mieux possible dans ma démarche. J'essayais d'imaginer la "vie d'après" de chaque objet que je dépoussiérais, emballais, calais avec les autres, mais je ne voyais pas au delà du lendemain.

Bien évidemment que je finirai par rallumer cette bougie, de même que cette casserolle retournerait sur le feu. Ce classeur serait rouvert au prochain printemps, quand j'aurai besoin de retrouver les carnets de santé des chats, pour les vaccins... Non... Je vais lui mettre les papiers de Pizzi de coté de suite, pour ne pas oublier.

Je prends une pochette cartonnée neuve.

J'ecris "Pizzi" dessus, avec cette ecriture majuscule que je me déteste.

Je sors un petit livret du classeur. Carnet de santé. Pizzi. Je l'ouvre et lis la première page. Date de naissance. Type européen. Adresse. Je relis. Date de naissance. Type européen. Adresse. Date de naissance. Adresse. Date de naissance. Date de naissance.

Je referme le carnet. Je range dans la nouvelle pochette. Je ferme.
Je pleure.

Quand il a vu que je n'y arrivais plus, il est revenu et m'a aidé, une dernière fois.

Alors j'ai un peu moins pleuré et je me suis appliquée à être lucide, pragmatique, et efficace, pour que tout aille le plus vite possible, parce que je savais qu'on avait du retard dans les prévisions et que tout ne serait pas bouclé pour le déméngament. Il me parlait gentillement, et tout d'un coup le sort de cette assiette lui importait, et il prenait à coeur que je fasse tel usage de telle chose, de même qu'il prenait soin de bien empaqueter les boites de nourriture entamées que nous devrions ecluser, chacun de notre coté.
Un puis un jour, je n'ai plus rien eu à mettre dans ce carton que je n'avais qu'à moitié rempli.
Car il n'y avait plus d'objets dans la maison. Tout était emballé.

Un matin, un ami est arrivé avec un gros utilitaire de location.
On l'a chargé très rapidement. On a rit.
Et puis on a roulé jusqu'à chez ma mère.
Et là, j'ai dechargée toutes mes affaires. Toutes. Tous mes cartons. Moi. Toute seule. Je les ai pris et ai descendue la pente du garage pour aller les entreposer dans le sous-sol de la maison. Un par un. Tous les gabarits. Tous les poids. Toute seule.
Je n'ai réclamé personne. Je voulais tout descendre moi même. Sentir le poids de toutes ces choses qui partaient en hibernation. Suivre la progression. Mesurer. Calibrer. Egoïstement. Car ce moment m'appartenait. Ma punition et ma récompense à la fois.
Sentir.
Juste après je n'étais pas tellement fatiguée. Pas vraiment soulagée. Pas tellement triste non plus.
Du jour où j'ai fermé le dernier carton, je n'ai plus pleuré pendant des mois...

On s'est revus, ensuite, pour nettoyer la maison.
Effacer toutes les traces de nous.
On a dû vraiment frotter fort, parce que les derniers temps, comme on n'avait plus trop à coeur de vraiment nettoyer, la saleté avait repris le dessus. La sève de bambou avait tout englué sur les surfaces : les poils de chats, les traces, les cheveux, les miettes. On les a toutes eues.
La maison était telle qu'on ne semblait jamais y avoir vécu. Stérilisée bien mieux que pour notre emménagement.

Et puis un jour, le grand rendez vous : le propriétaire qui s'emmerveille de l'état du logement, les nouveaux locataires qui s'y projettent déjà, et moi qui touche les murs pour la dernière fois. Qui regarde tout avec application, l'air de ne pas en avoir l'air.
Car je sais que c'est la fin et que j'ai peur du vide dehors.
J'écoute le sons familiers, et je sais que bientôt, je vais les oublier, et qu'ils seront remplacés par d'autres.
Les portes qui s'ouvrent et se ferment. La marche de l'escalier qui craque. Le bruit de la chattière. De la cuvette des toilettes qui s'ouvre. De l'interrupteur de la cuisine qu'on actionne.
Je ne pense absolument pas à l'avenir qui est censé m'apporter de bien plus grands bonheurs que le présent. Je m'enivre de ce que je vis. Je sens qu'un chapitre se clos et je m'applique à faire de chaque détail un élément fondateur de sa conclusion.

Je pense à mon chat qui ne reverra plus son copain.
Je retrace mentalement la course du soleil dans la maison, son cycle d'hiver, son cycle d'été.
J'écoute les bambous qui ondulent dans le jardin. Ces bambous qui avaient finalement causés bien des ennuis, déchaussant la terrasse, bouchant les écoulements des voisins et dont la sève poissait la fourrure des chats qui se roulaient dehors...

Les clés tournent dans les serrures. J'ai laissés quelques photophores dans le lilas et la boule de noël dans le lierre, qui était déjà là avant nous. Quelques petits corps de compagnons reposent sous la terre, aussi. Même si on n'est pas censés avoir le droit, je voulais les enterrer là bas, où ils ont vécus et où il sont morts.
Et même s'ils y restent, sans moi, ils sont ensemble et c'est le principal.
Je ne regarde pas trop fixement l'endroit, pour ne pas qu'on me pose de questions. Mais je pense à eux et je leur dit aurevoir.
On n'a jamais vraiment fermés les volets quand on habitait là, et le proprio n'a pas pris la peine de vérifier qu'ils étaient toujours en état.

Dernières fois. Les graviers sous les pieds. La sculpture de Saint Joseph posée dans le jardin.

Dernières fois. La plante au dessus du petit portail que la voisine aimait bien effeuiller quand j'avais le dos tourné.

Dernière fois.

La porte du hall qui s'ouvre. Se ferme. Et le chemin jusqu'au RER.

Pour la dernière fois.

On a pris le RER ensemble. Comme des copains. On a rit et on s'est fait des blagues. Parce qu'on riait beaucoup. Oui. Il était très drôle. Il faisait vibrer cette fibre en moi comme personne d'autre avant lui, comme personne après. Il est tellement plus aisé de tripoter la grosse corde qui m'enerve que de frôler cette corde sensible qui me fait rire aux éclats. Ces personnes qui réussissent ce tour et font ressortir en moi ce qu'il y a de meilleur sont en quelque sorte des enchanteurs. Ils me sont précieux. Et lui en était un, assurément.

Nous revoila sur nos strapontins.
On est en train de rire.
Saint Michel Notre Dame.
Il descend. Me fait un signe de la main.
Je me demande si ça peut vraiment se finir comme ça, sur une blague.
J'ai encore le sourire aux lèvres.
Les portes se ferment.
Le sourire reste.
Et c'est la fin.

posted under |

2 empreintes:

Mick Kelly a dit…

J'ai lu ton texte il y a quelques jours puis encore une fois sans laisser de commentaire mais ce soir je me lance. Je suis ravis de te retrouver mais évidement un peu triste de lire tout ça. Je te souhaite juste courage Chloro fée.
Et puis à bientôt!

Chloro' fée a dit…

Merci Mick Kelly. Je suis ravie de te retrouver aussi. Je me demandais si tu allais revenir par ici un de ces jours, alors que ça faisait des mois que je n'avais pas posté... Je vois que tu es aussi régulier que moi dans tes ecrits blogesques... Malgré tout nous voilà "reconnectés" après tout ce temps. Comme quoi... ^^ Ne te fais pas de souci pour moi, tout va mieux, vraiment ^^ Merci encore pour ton attention...

Article plus récent Article plus ancien Accueil

Followers


Recent Comments